MARIE FOUGERE

Marie Fougère

 

UNE DAME AU BORD DE L'EAU

MARIE FOUGERE PARLE DE ROBERT MOREL

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Le premier souvenir que j'ai de lui, c'est celui d'un livre et d'un cadeau : il offrait à tous ceux qui en feraient la demande la célébration de l'Ane, reliée de gris, texte de l'homélie que venait de prononcer la Père Lelong sur France-Culture. C'est tout de même autre chose que de s'acheter une colonne du Monde pour présenter un livre !

Le second souvenir, second cadeau, c'est VIA SACRA. Toile blanche et bois gravés pour un admirable chemin de croix, pour moi, qui lui avais envoyé un mauvais manuscrit. Le texte beau comme une prière.

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Je l'avais rencontré au Jas, un soir. Et puis souvent. Au milieu de ceux qu'il aimait.

Il se lève tôt, content parce qu'il pleut et que la Haute Provence va ressembler à la Lorraine. Il aura à refaire presque seul, avec un râteau, un chemin de trois kilomètres pour monter aux Plaines. Il aime. Planter des osiers. Il aime les cerfs-volants. Faut le voir, dans le rouge d'un feu de Bengale, courant entre les maisons du Jas, allumer les fusées disposées un peu partout pour l'anniversaire de sa fille Marie qui joue de la flûte. Avant la Saint Jean d'été, comme il allait à la foire de Cournon Clermont Ferrand, sa voiture a manqué de brûler « Encore une heure de route, comme le feu couvait doucement, faute d'air, mais chauffait sec le réservoir à essence, la voiture aurait explosé et je serais mort en feu d'artifice, imaginez-ça !

Il offre les livres roussis, il a décidé qu'ils porteraient bonheur au moins toute l'année.

Faut l'entendre raconter ses histoires, l'air faussement naïf, et nous les yeux pleins de larmes pour avoir tant ri. Il raconte, il prend le temps d'écouter, il prend le temps de recevoir, quand il a tant à faire, avec pour accueillir, pour appeler, pour dire au revoir, des mots choisis, irrésistibles et qui ne sont jamais des formules. Il cherche autour de lui ce qu'il pourrait donner encore, on ne peut se quitter comme ça. « J'aime donner. C'est une maladie de cœur. Faut tout de même pas croire que c'est si facile que ça. N'avez qu'à essayer. Je suis à votre disposition car j'aime également recevoir. C'est une maladie de Corps. Faut tout de même pas croire que c'est si facile que ça de recevoir. »

Il donne une râpe à gingembre, le plomb d'un de ses livres, deux giroflées, une feuille de citronnelle bien écrasée pour le parfums des petites filles de Colette, et puis des livres, des livres, encore des livres. On reste à dîner, il ouvre en deux des aubergines, les met au four, les arrose d'un filet d'huile d'olive, il met des raisons secs dans la salade et vous écoute encore.

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Il se parfume de clou de girofle, et quand j'étais fatiguée d'avoir trop écrit, il me disait d'aller grimper aux arbres.

« Vous vous plaignez que je n'écris pas. C'est pas que je pense pas à vous, mais, vous savez, découvrir des auteurs, les entretenir, les échauffer, leur faire, leur donner confiance, lire les manuscrits, inventer des livre, acheter des tonnes de papier, corriger les épreuves, préparer la presse et les libraires, animer les ventes, et en même temps ouvrir la route des Hautes Plaines, construire des maisons, organiser une boutique de la Fête à Forcalquier, place Saint Michel, et une autre boutique de la Fête à Port Barcarès, près de Perpignan, lancer nos éditions en Italie, en Hollande, planter des arbres, arracher des arbres, planter des fleurs, tracer le plan de l'étang, écouter mon fils François jour de la batterie, le consoler parce qu'Azinelo est mort ce matin d'un coup de foudre, dire oui, dire oui, dire oui »

Avec Odette Ducarre, ils ont toujours tout inventé, des livres qui ne se fabriquent pas en série, ni ne se vendent comme les autres.

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Vous parler de lui, dire qu'il nous a si peu quittés, puisqu'il nous a tant laissé, quand ce pourrait-être exactement le contraire.

Dire aussi que je ne peux pas parler de lui comme ça dans le vide. Je ne peux que lui écrire, répéter qu'il est parti trop vite et que la peine qui nous retourne le cœur a goût de culpabilité.

Je l'entends rire quand je me tords la tête et le crayon à vous parler de lui. Je l'entends, j'ai bu – à lui – de ce vin gris de Toul et de Goujot qu'il aimait tant. Un vin qu'il faut connaître pour apprécier, un vin acide de terre, de framboise et d'enfance. Je l'entends grommeler et je voudrais qu'il soit content de moi."

Extrait de "Une photo de Robert Morel" dans Robert Morel Editeur, Edition Arts et Formes

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