notre-dame du haut

Robert Morel.

En la communion des saints.

Robert Morel, mon frère, tu nous a quittés le 15 janvier dernier, en la fête de saint Paul de Thèbes, ermite au désert... Tu ne savais pas lire une date au calendrier sans la mettre sous le signe des saints du jour, des saints de tous les jours. Tu es donc parti en direction de ce Paradis qui devait assouvir les faims et le soifs de ton existence insatiable. Merci d'avoir existé, merci d'exister pour nous , comme dit Paul Baudiquey quand une rencontre est réussie. Je veux faire mémoire de toi, te ramener à l'existence terrestre dans le style qui est le tien, entrant de ton jeu. En ton Ton littéraire capable de nous rendre les saints en chair, en vif, en sang et en passion brûlante... Je te pastiche... en moins bon, c'est sûr !

Tu es né en terre lorraine... pas où tu aurais voulu, on ne choisit pas son point d'a-terrissage ! C'est Vaucouleurs qui t'aurait convenu, où tu avais un grand oncle, Marie Villemin... ou pourquoi pas, Domrémy-la Pucelle... Le parrain de Jeanne d'Arc était Jehan Morel, ta mère s'appelait Jeanne, et la Jeanne de Domrémy était naturellement ta cousine... Tu n'aurais pu l'avoir comme ancêtre... mais tu pouvais l'aimer... follement . Tu disais : on n'est jamais quitte avec ceux qu'on aime un peu follement... Eh bien non ! Tu es né à Pont- à Mousson, célèbre pour ses tuyaux et ses plaques d'égouts... Ce nom est célèbre qui est écrit partout sur les voies d'assainissement et nous raccroche les pas dans les chantiers. Ton nom n'y est pas écrit. Ne sera pas donné à une rue de ta ville natale. Ni une plaque apposée à la Poste de Melisey (Haute-Saône), à 9 kilomètres de Ronchamp. Ton père y fut receveur et ta maman institutrice... C'est pourquoi ton destin était voué à l'Instruction Publique, comme le mien, en fils de paysan, à la fonction ecclésiastique... Presque en même temps...

Tu étais plus avancé. Né en 1922, on te prit, par dérogation, à l'Ecole Normale de Vesoul, en 1938 : seize ans, pas pistonné mais reçu si brillamment au concours d'entrée : si fort en français, en maths, en tout. J'imagine tes yeux, ton regard perçant et ton esprit vif... J'étais en séminaire de philosophie à Faverney, à cette époque, à 20 kilomètres de toi, on ne s'est pas vu. Séminaire pour séminaire ! Le tien était établi lui aussi dans une ancienne maison religieuse, le couvent des Ursulines dont demeuraient les murs, un petit cloître très ombré et humide... Mais très aseptisé, laïcisé, désinfecté comme il convenait... Le lieu était sinistre, coincé entre un Cours Complémentaire, la prison et l'Ecole Normale des Filles. En la rue aujourd'hui attribuée à Roger Salengro. Tu te souviens, il y avait les plus anciens maîtres, qui avaient assisté à la Séparation de l'Eglise et de l'Etat, à la libération du joug clérical, au laïcisme de   « défroqués » et zélé... et les plus jeunes qui observaient mal la neutralité en préférant le néant à l'infiltration de la métaphysique... Tu en aurais vite crevé... si tu n'avais pas « fait le mur » moralement et matériellement... tu as pris plus d'une fois volontairement le chemin de l'infirmerie de l'hôpital, pour lire, lire et surtout écrire, à pleins cahiers et, rentré au bercail, tu portais candidement les pages de tes contes licencieux et libertins... au Directeur, pensant qu'il t'aiderait à les publier... Concret, coquin et travaillé par des voix mystérieuses, mystiques...

Pas étonnant que l'on t'aie réservé, à ta sortie, pourtant brillante, un très petit poste de maître d'école... en un lieu perdu des Vosges Saônoises, au hameau de La Montagne (47 habitants aujourd'hui)... 1942, c'était la guerre, moins sensible en ces lieux escarpés...Tu travaillais à la bougies et enveloppé du brouillard de ta tabagie et de la fumée d'encens, curieusement. Les gens t'ont trouvé drôle, même plus. Perdu dans la lecture, l'écriture, en contemplation... Tu achevais d'écrire « La Mère »... tu ne finissais pas, tu n'as jamais fini sur ce sujet : la Femme, la Vierge, la Mère, tout pris par l'amour et l'Amour... Bon, je ne te parle plus... N'écoute pas, occupe-toi de ta place en Paradis.. Je parle pour les autres, les amis.

Robert, un jour, datera son livre que je tiens pour le plus essentiel : Marie, Mère, Noël 1943- Noël 1965. Après des grandes périodes de troubles, de rejet de cette oeuvre sortie de ses entrailles en un accouchement très douloureux... En troisième page, une dédicace : Maman, mamans ? L'édition définitive rappelle quelques étapes : « La Mère, Vie de Marie » parut chez Julliard en 43, j'avais tout juste 22 ans. La France était occupée, les Juifs étaient pourchassés comme des bêtes, marqués. Il me semblait urgent, important, essentiel de rappeler aux catholiques français portés si facilement à approuver l'ordre établi... et aux autres que Jésus était né Juif et que Marie, sa mère, avait été une femme juive, aussi juive que possible. Dans cette perspective, j'avais appris l'hébreu, fréquenté Israël au présent et au passé... Cette « Vie », c'était prévu, fut condamnée... par le régime nazi et même après lui : l'édition, parue en allemand chez Otto Walter, sur une traduction d'Angélica Probst, dont le frère avait été décapité par les nazis, fut envoyé au Saint Office et mise à l'Index, Pie XII régnant.  » J'espère tant en la réédition de cet ouvrage. Il y souffle un air qui sent le pays de Jésus en son temps, les nuances de la langue, l'accent du pays et une foi vraie dégagée de la mièvrerie et du piétisme... Ainsi que de l'arrivée à notre portée de la Bible traduite par Chouraqui...

Robert, tu as aimé aussitôt Notre-Dame de Ronchamp...   C'est un interminable chapitre qui comportera tant de pages encore à écrire.

Du vérisme

En rupture d'école communale avant même la fin de la guerre, Robert montait à Paris ; écrivait, montait une maison d'édition. Je le connus par ses billets publiés chaque semaine dans le « Témoignage Chrétien » entre 49 et 51. Il signait « Frère Joyeux »... Etonnant de joie et de nouveauté, ce visage des saints...T.C. était en principe suspect et se fit taper sur les doigts, le St Office accusant Morel d'être tombé dans un « vérisme indécent et grossier ». Vérisme, c'est le nom donné en Italie à une école littéraire ou musicale réaliste, qui réclame le droit de représenter la réalité tout entière... C'est déjà condamnable au monde des arts... si l'on touche à l'imagerie religieuse, au visage convenu de la sainteté, c'est un péché... Mortel ! Parler vrai, écrire vrai, sans tremper sa plume dans l'eau bénite... Robert fonda pourtant le Club du Livre Chrétien : C.L.C. et parmi les nombreux titres offerts à ses adhérents, il mit la main à la collection des « Saints de tous les Jours » douze volumes, un par mois. Le saint du jour animé par les meilleures plumes et la sienne : Joseph Delteil, Denis Grivot, Paul Doncoeur, Joseph Folliet, Daniel Rops, Jean Chrysostome... Demandant une musique à César Geoffray pour Ste Marie-Madeleine...

On passait chez toi, boulevard Berthier, c'était la fête des livres... tu en en donnais à pleines brassées. Tu donnais, partageais, dédicaçais : « Les Saints de tous les jours » qui montent à N.D. du Haut, tous les jours, grâce à Dieu et à le Corbusier.Tu me nommais le « concierge de Marie, dans le même sens que Marie était concierge de Dieu ». Si tu veux ! Odette Ducarre, ta femme, avait créé la jaquette de ces volumes des saints : dans la toile de la couverture, en creux, avait repris la géométrie des fenêtres de la chapelle, la constellation de ces yeux qui s'emplissent de lumière pour la diffuser, maîtrisée, enjouée, à l'intérieur du sanctuaire. Ouvertures sur les cieux, signes et pressentiments d'un Paradis de Lumière...

Après ces premières rencontres, ce coup d'envoi à la vie et à la mort, je ne te suis plus, surtout depuis que je n'ai plus de jambes à courir après toi qui mène un train d'enfer, à crever tous tes attelages. Comment Odette n'en est pas morte, comment n'a-t-elle pas eu envie de te tuer ? Edition sur édition, maquettes, bouquins, collections : « célébrations » des choses qui nous entourent. Dictionnaires de traditions populaires, des herbes et plantes, des jurons, des dictons des provinces, des cuisines des provinces françaises et d'ailleurs... Les sermons et catéchismes du pauvre curé d'Ars, St François d'Assise, les poètes, la poterie, des romans, les tiens et ceux des autres... Tu nous révèles Joseph Delteil, André de Richaud, le Facteur Mougin, Marie Mauron ; le Journal du concile d'Henri Fresquet.. les lettres de l'évêques Cauchon ; le père Lelong, et R. Bolle-Reddat. Tu te décentralises en Provence, au soleil, sur les traces de Giono, de Van Gogh et de tous les assoiffés de campagne, de silence, de lait de brebis, de rayons de miel et de plans d'oliviers... On t'a floué. Les promesses aux décentralisés ne sont pas tenues, Paris reste Paris, capitale et mort aux paysans ! Tu relèves un par un les mas d'un village de Haute-Provence, les aborigènes font tout pour détruire cet ouvrage (O Manon des Sources.. Regain... la mort de Bobbi, foudroyé).Tu mets en chantier les plans d'Odette, ton architecte, un étonnant et visionnaire centre d'Edition et ta demeure... Super-organisé... Les banques !!! Les indigènes saccagent tout... Tu en as bavé; usé, touché dans l'intégrité de ton âme, tu as souhaité mourir, t'es laissé mourir... La mort c'est la liberté de Dieu, concluent les tiens ; Odette, François, Marie, Eve... et les petites : Jéromine, Eve, Adrien, Jeanne, Samuel, Noé, Pierre, Joseph... Et en grand envoi de ses pigeons blancs... Marie a posé quelques questions à cet agonisant, questions d'amour et d'impertinence... Combien de livres as-tu édités - 4, 5, 600, je n'ai pas compté... - Tes préférés ? - Les saints de tous le jours. Dis-moi qui tu aimes ?- Les pâquerettes, les cloches, toutes les femmes, les saints, la vitesse, l'odeur des champignons, les ocres, les fleurs, les huîtres, la soupe pékinoise, la tarte aux pommes, le coucher du soleil, les processions, faire pousser les arbres, les salades, multiplier les rosiers... Pourquoi as-tu besoin de séduire les femmes ? -Hélas ! je n'ai pas d'autres solutions ! Pour continuer à vivre, il te faudrait quoi ? - Qu'Il me le dise... Il m'envoie seulement ses représentants ! ... Couché depuis quelques mois... qu'est-ce que tu penses de ceux qui sont debout ? - Ils n'ont pas de chance... Quel est ton plus beau rêve ? - La fin du monde .

Tu avais le Journal de N.D. du Haut, si longtemps à ton chevet. C'est toi qui m'avais incité à l'écrire, m'a fortifié, corrigé, publié quelques numéros en 60, 61. Tu as pris 1000 exemplaires du « Livre de Ronchamp » en 1961 que je désespérais d'écouler... Tu as publié le « Journal de Vincent » (Mathey), un fils chéri de Ronchamp. Tu as tressailli un soir en lisant ton sigle sur la pierre tombale qui couvre la sépulture de quelques chapelains décédés. François Javelier l'avait gravé en fin de liste où j'avais fait écrire : Et d'autres... semences pour la Résurrection... Ton logo (ci-reproduit), je l'avais pris pour les initiales de Le Corbusier, esquissant les formes de l'ancre, symbole de l'espérance de ceux qui ont jeté l'ancre, en mer, ou aux branches d'une étoile... C.L.C. C'étaient les initiales du Club du Livre Chrétien, dessinées par Odette... Cela va fort bien. Je t'ai posé un rendez-vous au Club, non de trépassé, des revenants, des Rescapés, mais à l'innombrable Club des Ressuscités. Vive Dieu.

24 février 1990, St-Jean-le-Moissonneur

Texte extrait du "JOURNAL DE NOTRE-DAME DU HAUT - 70250 RONCHAMP N°86, Mars 1990. Page 42 à 45

 

Lien sur la Chapelle de Notre-Dame du Haut, vous y trouverez des information sur le journal de l’abbé Bolle-Reddat.

 

 

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