Prévention Cette lettre devait paraître dans l'hebdomadaire « Témoignage Chrétien » où Robert Morel, en sa qualité de rédacteur de la chronique littéraire, reçut des injures et des menaces « catholiques » auxquelles il désirait répondre. Pour des raisons d'opportunité, « Témoignage Chrétien » ayant refusé de publier cette réponse quoique l'équipe du journal en partageât les termes, du moins jusqu'avant l'adresse à Monseigneur l'Evêque de Luçon ; et un sabotage dont il serait trop triste de dénoncer les rouages ayant empêché la publication de cette lettre dans d'autres journaux, - Robert Morel, pour des raisons de fidélité et parce que la vérité n'est pas forcément opportune, a tenu à rendre publique et intégrale sa « lettre ouverte », un ami aidant, en regrettant qu'elle ne touchât point précisément ceux auxquels elle s'adresse. Mais il aimerait qu'ici elle soit entendue sous le couvert du témoignage et non de la politique, et qu'elle soit reçue, défendue, répandue en ce sens par quelques catholiques parmi les catholiques et... |
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« Maison Cardinale, le 1 er septembre 1946.
Seigneur, ayez pitié de nous. J'ignore à qui j'écris. J'ignore à qui je réponds. Je voudrais toucher de face ceux, catholiques, qui m'abordent sans visage, ne me tournant le dos. Ils m'injurient et me menacent, depuis Nancy ou la Tour-du-Pin, d'un lieu qu'ils refusent d'indiquer comme ils refusent de signer d'un nom responsable des lettres où l'encre est sale et où la rage pousse à l'ignominie. Si ces catholiques, qui sont une fois « un groupe de pères de famille », m'abordent en redoutant d'être connus dans leurs outrages, chaque jour, c'est parce que j'ai écrit sous mon nom quelques mots qui les ont froissés (1). Je ne regrette pas d'avoir publié ces mots à propos de l'école libre. Il faudra les répéter jusqu'à ce que les catholiques cessent d'être anonymes. Je disais que « si une querelle anticléricale oppose l'école laïque à l'école libre, l'école de l'Etat à l'école de l'Eglise, l'une des raison est peut-être que l'école libre a parfois oublié d'être l'école de l'Eglise, l'école de la sainteté ». Je disais et je répète : « quand on fait le compte des parjures, des Philippe Henriot, de ceux que l'argent ou la puissance ont tenté, on en trouve un trop grand nombre formés dans les écoles libres. Certes il n'y en a pas eu que là. Mais là il ne devrait pas y en avoir ». Et voilà qu'un « admirateur de De Gaulle », - et que vient faire ce Général ici, que vient faire dans cette bouche cette admiration à moins qu'elle soit d'une nature coupable, - ce catholique sans nom Propre, sans prénom Propre, m'écrit : « Dans votre article « Parlons des enfants », il est une chose qui m'a singulièrement froissé et je me demande comment le Père Pierre Chaillet a permis de laisser passer sans retouche une telle épître. En dehors des idées générales exposées dans ces lignes et qui me paraissent fortement exagérées et même fausses, vous osez appeler le grand Philippe Henriot un parjure. Franchement est-ce que vous ne perdez pas la tête. Votre insulte est une crapulerie abominable. Taisez-vous et respectez ce génie, ce grand patriote et Français que vous êtes incapable de comprendre. Contentez-vous de pondre de tout autres jugement. Silence sur ce nom auguste chrétien et français... ». Vais-je répondre que je n'ai pas traité Philippe Henriot de parjure, que je l'ai situé entre les parjures, les orgueilleux et les puissants parce qu'il était d'un classe plus dangereuse encore, et d'autant plus dangereuse que parmi les gens de la croix il a des disciples, de disciples parmi les catholiques anonymes. Vais-je répondre que le Père Pierre Chaillet était déjà Directeur du « Courrier Français du Témoignage Chrétien » quand, dans le numéro 8, un numéro clandestin (mais qui a le courage ou l'honnêteté de s'en souvenir en 1946 ?) publiait « la lettre d'un militant chrétien à Philippe Henriot », Ce Philippe Henriot dont les martyrs étaient les Miliciens ? Vais-je reprendre ici cette lettre saignante lorsqu'elle se lamentait : « vous vous posez en adversaire de la guerre civile, et vous la préparez par tous vos articles et tous vos discours. Incessamment vous parcourez le pays une torche incendiaire à la main, des paroles fratricides à la bouche. Et vous êtes (ou l'on vous croit) chrétien ». Vais-je répondre, et demander à ce catholique sans tête, sans regard, et qui hurle à ma porte en esquivant la confrontation, vrais-je lui demander pourquoi, mon Dieu, fut-il que le Père Jacques de Jésus, dont le petit livre posthume « Parlons des enfants » (2) suscita cette chronique sur l'Education, pourquoi faut-il qu'elle Père Jacques, pour ses activités chrétiennes, - et vous savez en vérité lesquelles, - ait été arrêté par la Gestapo, et, déporté, soit mort à Linz ? Je répondrai autre chose parce que mon dégoût est forcé par ma colère, et parce que j'en arriverais à avoir honte d'être un membre de cette chrétienté pourrissante dont les éléments sont plus disposés à la haine, qu mensonge, à la partialité, au reniement , à la prospérité temporelle, à tout ce qui les flatte, qu'au respect de Dieu en la vérité et la justice ; j'en arriverais à avoir honte d'être catholique si j'ignorais finalement quel mystère entoure cette ignominie qui de tout temps humilie jusqu'à la Croix, si j'ignorais Jésus-Christ, le calvaire et la Croix. Mais la souffrance, si je la porte, appelle le témoignage. Et je vous réponds parce que ce ne sera jamais fini de briser ces boucliers, ces trônes, ces tirelires, ces drapeaux qui vous séparent, qui nous séparent, qui brisent le corps de Jésus-Christ, et le clouent. Cesserez-vous jamais de vous attacher à ces choses sans rachat ! Oublierez-vous toujours, pour l'arrangement du présent, le blâme du passé ! N'aurez-vous jamais honte de dire ce qui vous arrange et de taire ce qui vous gêne, de réclamer ces faux témoignages. Et puisque d'Ecole libre il s'agissait, ne sentirez-vous pas combien vous êtes de plus en plus aveugles et sourds, de plus en plus dangereux, de plus en plus grotesques, de plus en plus mortels, à vouloir les maintenir et les défendre comme le dernier privilège catholique de cette civilisation qui vous somme de choisir enfin quelques souffrances. Mettez-vous à genoux, maintenant, vous avez tant à vous faire pardonner. Ne sentez-vous pas que vos paroles déplacées voulant faire claquer à tout vent à nom du catholicisme la triste mémoire de Philippe Henriot. Priez plutôt pour la paix de celui-ci, et n'aurez-vous pas pitié du repos : des autres morts, pitié de la pauvre Eglise contre laquelle vos aboiements révoltent le monde, appellent persécution puisque la persécution finalement purifie. Ah, je suis déjà dans une mauvaise position entre vous et eux, partout rejeté parce qu'esclave d'aucun sinon de Sire Dieu ; et je sens combien je me débats en vain quand je songe à une autre lettre. Je songe à cette lettre, un message de Monseigneur l'Evêque de Luçon, expédiée de Paris, lâchement comme une puanteur, et peut-être est-ce vous aussi, certainement vous, qui me l'avez envoyée par tout détour, par nulle franchise, espérant qui sait ? me troubler. Mais que puis-je, fils pauvre, et fils soumis, devant Monseigneur l'Evêque de Luçon, même quand il proclame : « Vous devinez l'angoisse de votre Evêque. Quand on est chef de l'Eglise de Luçon on est responsable de 450 écoles primaires libres, et de plus de 40.000 enfants qui les fréquentent. Les Vendéens sont prêts à résister jusqu'au sang comme autrefois... On peut prendre nos églises, nos futaies et nos granges abriteront encore l'autel du tabernacle. Mais on ne touchera pas à nos écoles. (Ce n'est pas moi, hélas, qui souligne). Elles nous sont plus chères que nos sanctuaires. Pour nous l'école c'est la vertu et la foi. Là, l'âme de la Vendée se forme et grandit. C'est une richesse que nous saurons défendre »... Je vous le demande, qu'ai-je à dire, sinon que devant la vertu et la foi qui sortent en vérité, ou en très grande vérité, des écoles libres où les élèves pratiquent la fraude et le marché.noir comme ailleurs. Devant cette fausse vertu et cette foi bâtarde des hommes formés par elles et que nous connûmes trop depuis 1940, eh bien, qu'elles aillent elles aussi au diable, car où dont leur service ? Devant un Evêque, je m'excuse Monseigneur, qui trouve plus chères les écoles libres que les sanctuaires, et peut-être les sacristies que les sanctuaires, je souhaite que les écoles libres lui tombent des mains. Et devant l'anonymat des catholiques qui m'écrivent ou qui sont démangés de le faire et ne l'ont pas encore osé, j'espère, pour la pureté de l'Eglise, pour la petite réputation des baptisés, pour l'amour de dieu, que ces écoles libres-là, celles qui les ont formés, seront vivement retirées de la circulation. Jésus-Christ n'y perdra rien, les paroisses y gagneront quelques prêtres, els curés quelque argent, le catéchisme une autre faveur, l'école de l'Etat les maîtres qui lui mangent, et le comptes seront désormais plus faciles, parce que sera catholique, et toujours catholique dans le fond et non dans la forme, dans l'être et non dans le paraître, et resteront riches les riches, avares les avares, valets les valets, anonymes les anonymes. Cette première lettre ouverte de Robert Morel aux catholiques anonymes, en raison des circonstances a été tirée pour l'auteur à 1.000 exemplaires, dont 22 sur papier Ingres numérotés de + à XXII et signés. A la grâce de Dieu et à la volonté de ses hommes ; que pardon et prière s'ensuivent. (1) Chronique des Livres de « Temoignage Chrétien », 23 août 1946. (2) Procure Général du clergé, 3 rue de Mézières, Paris |
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