La liberté a des bras et des poings. Je crois que nous avons assez poussé dans des friches où les lianes elles-mêmes étaient de barreaux sur le ciel pour parler aujourd'hui de liberté. Elle existe. Si les bombes des autres nous créent des cages c'est que nous ne sommes peut-être pas tout à fait étrangers aux autres. Mais la liberté date d'avant les cages et l'on ne peut pas tendre un drap devant toute la lumière. Comme nous claquons tout sur les vieilles aventures et les expériences et que nous ne croyons à telle forme que par telle autre forme, au fer par le fer, au vent par le vent, nous ajoutons aussitôt derrière liberté comme une armée de femmes soeurs des révoltées du XVè siècle à Buschweiler et dont les noms sont des revendications ; Pain - Dieu - Vin. C'est qu'il y a dans les flancs de la liberté une ribambelle de parasites : libertés-égoïsme, liberté rouge, liberté blanche, pauvre liberté : les profiteurs qu'on appelle juifs en ce moments. La vraie liberté n'est pas dans les gueulantes poussées à minuit au cinquième quand le ménage du quatrième ne peut pas fermer l'oeil. Elle est la respiration de la justice, de l'amour, de la vérité, un médiateur de Dieu. Si elle nous fut toujours absente autant que Dieu, c'est que nous avons cru qu'il fallait la conquérir comme un Etat, à coups de morts et d'esclaves. La liberté n'est pas une conquête de l'homme comme la guerre. Elle est avec l'homme et malgré l'homme. Elle est le ciel qui caresse le ventre blanc des morts. Nous avons la tête dans la liberté quand nos mains seraient même enchaînées. Elle rôde dans les prisons et les camps de concentration. Elle tonne avec l'océan et la terre jusque dans les casinos des traîtres et les garçonnières des tyrans. Elle est le saint Jean-Baptiste qui force les palais des Hérodes, et décapitée mille fois elle ressuscite mille fois. Elle est la vie...

On nous a répété que « nous ne vivions pas » et nous avons alors cherché dans la pièce à côté.

C'est qu'au départ nous nous sommes crus maudits et déjà exilés. Nous avons glissé entre vie et mort avec les fantômes. Notre royaume n'est pas ici et nous n'avons pas trouvé nos habits là. Avons-nous cherché là ? La file des autres nous a guidés et nous avons appris ça aux veillées, à l'école, au catéchisme qu'il fallait gagner sa vie. Et gagner la liberté avec le sang de quatre-vingt-neuf et le nôtre, avec des outils bon sang comme les autres ! Et, hardi ! dans les jachères des environs. Les plus courageux ont creusé profond au même endroit à s'en mourir sur place dans des positions drôles. Les plus instables ont gratté et fureté toujours ailleurs. Les plus intrépides se sont exilés au delà. Et sont revenus les mains vides et les poches pleine de choses, d'autres choses. De confettis de toutes les couleurs pour les convalescents ! Ils ont couru après d'autres planètes et d'autres papillons dont les riches teintes étaient les teintes mêmes qu'ils portaient en eux, sans savoir.  

(...)

  Texte de Robert Morel dans la Revue Confluences, juillet 1942: En girouettant autour de la liberté sur le cheval de bois

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

pour retourner au début du site Robert Morel