"Nous
croyions connaître ce visage familier. Il est bien pourtant tel que
nous l'avions aperçu. À le fréquenter, qu’y découvrirons-nous
d’autre ? Quand sourira-t-il ? Quand se reposera-t-il ? Quand ne sera-t-il
plus à l’affût de l’angoisse ? Jamais ! Jamais il
ne cessera d’être ce champ de bataille.
(…)
Qu’il cache ses mains ou les montre, tout visage est public. Regardez-le
bien. Ouvert ou fermé, il ne peut se dérober. Chaque fois
que vous le rencontrez, il est déjà autre. La découverte
et son exploration sont toujours à commencer. Quel ciel c’est
! Et même s’il nous arrive de dire d’un visage abject à
force de bassesses : quel cul, - il reste de lui cette étrange médaille,
à tout venant, toujours lisible.
Si vous voulez respecter et comprendre les hommes qui passent, qui reviennent,
qui sont de votre compagnie ou qui vous aiment, prenez garde à tout
instant à leur visage. Appliquez-vous à leur visage. N’en
soyez jamais rassasié. »
Robert Morel dans la Célébration
du visage
« J’ai pu constater que cent ans ou trente ans accélérés de cette emprise des techniques industrielles, commerciales et intellectuelles n’avaient endommagé que la surface de l’homme et qu’on ne détruisait pas si facilement deux ou trois millions d’années de traditions, d’hérédités, de formations, d’usages… C’est passé dans le sang, dans les os, dans les muscles, dans leur fonctionnement. Chaque individu est formé de millions d’individus ancestraux, et son sens, sons imagination, son courage, son goût de l’équilibre, de l’harmonie, de la vie sont là, toujours, à disposition. Le ministère de la reconstruction peut bien imposer dans tous les pays, un modèle de maison moderne, priver d’esprit, caricature idiote et désossée de maisons anciennes, il suffira toujours que l ’homme y mette la main, use de matériaux d’infortune, bouche après coup une fenêtre, en réduise une autre, ajoute un appentis pour les bicyclettes de ses filles, et un balcon pour trois pots de géranium, pour qu’on puisse prédire que ces maisons-là seront citées en exemple dans deux cents ans, au même titre que celles que l’on restaure en ce moment à Plovdiv. L’homme est naturellement créateur, comme toutes les créatures, l’abeille, la chenille, la pomme de terre ! »
Robert Morel, dans « Robert Morel Editeur » de Marcel Garrigou
Tu le savais. Je t’espérais. Je te cherchais. Je t’imaginais. Je t’entendais venir. Je vais vers toi. Je suis à toi. Tu es ma vie. J’aime ton pays. Tout me parle de toi. J’aime les tiens. J’aime toi. J’aime ça que tu aimes. J’aime marcher avec toi. J’aime ta certitude. Oh oui je t’aime. J’aime te dire. J’aime ta main. J’aime le fil de ta peau. J’aime ton dedans et tes dehors. Mes lèvres aiment tes lèvres. Mes lèvres deviennent tes lèvres. J’aime être dans tes yeux. J’aime être près de toi. Ton amour me va. J’aime notre amour. Je suis fou de toi. J’aime la vie avec toi. C’est toujours avec toi la première fois. Dis-moi pourquoi. Mon bel amour. Je t’enlève, ta main guidant ma main. Emmène-moi. Prends-moi la main. Toute la terre le sait que je t’aime. Je t’appartiens, Je veux toi. Tu m’es tout. Tu m’occupes. Tu me donnes. Tu me réconcilies. Tu m’apaises. Tu définis ma vie. Je te regarde. J’ai besoin de toi. Tu me fais vivre. J’aime tout ce que tu me donnes. J’aime tes détails. J’aime te caresser. Je t’enlèvre(s). Je t’embrasse partout. Je t’aime partout. Je t’aime partout. Je te tiens. Je te suis. Moi je t’aime. Je t’aime et tu me réponds. C’est toi mon amour. Tu me mets à l’aise mon amour. J’aime t’aimer. Tu m’aimes comme j’aime. Je t’aime fidèlement. Recommence-moi. Fais-moi encore. J’aime t’apprendre. Oui. Oh oui mon amour. Mon amour te devine. J’entends ton corps. J’aime ton ventre. Tes mains toujours me trouvent. Caresse-moi. Je te regarde m’aimer et je t’aime. Mon corps est la réplique de tons corps. Exactement mon désir. Tu dis oui quand je dis oui. J’aime ton plaisir. Je t’aime amoureusement. Je t’aime après. Autant. J’aime te réveiller. J’aime dormir près de toi. Je t’aime à la vie à la mort. Je t’aime depuis ta naissance. R .
Robert Morel, le texte du O n°61 "Je t'aime"
"Il y aura toujours des pauvres parmis nous. C'est sans doute un problème de société, de propriétaire, de soleil, de multiplication, d'injustice, d'ignorance, de bêtise, de méchanceté, et peut-être même de fierté. Tout cela, à la longue, - par force, justice ou charité, - peut s'arranger. En gros, et un peu plus tard dans le détail. Encore qu'on n'en ait pas de preuves définitives. Mais on doit tout de même espérer que dans une centaine d'années , les commentateurs de radio et de télévision n'auront plus le cynisme, l'inconscience ni l'occasion de s'esclaffer, - comme ils l'on fait encore une fois cette année, - en décrivant les Pelados tombant morts de faim, à même la chaussée, en plein carnaval de Rio ... Mais il y aura tout de même toujours des pauvres parmi nous. Ceux qui estiment que la vie n'a pas la forme monstueuse d'un ventre adoré et doré; ceux qui goutent et préfèrent le dénuement, l'abandon et la simplicité; ceux qui s'en font un art de vivre; ceux qui cultivent la pauvreté comme exercice spirituel, quelle que soit leur religion: ceux enfin - aujourd'hui si jeunes, et si nombreux - qui professent la vie immédiate et qui ne vivent plus qu'au présent. C'est à ces pauvres-ci, et à ces pauvres-là, que les documents étonnants réunis ici par Hugette Couffignal, dans un esprit bien différent des savoureux propos de table, de relais et des albums gastronomiques internationaux, voudraient rendre hommage.
Car il apparaît, grâce à ce pèlerinage brutal dans la cuisine des pauvres gens du monde entier, que la cuisine peut toujours s'accomoder de ce qui est et du peu qu'on a sous la main, pour en tirer des joies simples et hardies et en faire une fête élémentaire:
Le savoir vivre.
"Préface de l'éditeur" dans "La cuisine des pauvres" d'Hugette Couffignal
"Puisque rire est le propre de l’homme, il faut bien rire ! Les occasions en sont de plus en plus rares, car l’homme se prend de plus en plus au sérieux, sur son trône. C’est donc pour remettre les choses en place et débarrasser nos contemporains de leurs gueules d’enterrement, comme disait Le Corbusier, que nous publions ces petits livres, ouverts à l’humour spontané, involontaire et populaire. Les feuillets en sont détachables soit qu’ils puissent améliorer ou torcher un parent ou un fonctionnaire de nos connaissances, soit que leur contenu, sur le moment, très personnellement, nous indispose. Nous y voilà ! À cet humour quotidien, aucun homme honnête ne pourrait échapper. Le rieur, tôt ou tard, s’apercevra qu’il rit aussi et surtout de lui-même. Rire jaune, madré de gentillesse, de tendresse et de modestie. A ces ana auxquels le lecteur est invité à participer, nous avons donné le titre collectif de Gaités."
Feuille volante insérée dans "Les Gaités: les administrés"
Préverbiales
Au commencement il y eut les Proverbes de Salomon (sans commentaires). Et plus la Quête du Saint-Graal (dans le texte) et les Romans de la Table Ronde (sans service de presse). Et puis La Fontaine (à ne pas mettre entre toutes les mains). Et puis Giraudoux (mort mystérieusement le 31 janvier 1944, à l'Hôtel de Castille, rue Cambon). Et puis Jacques Prévert. Je le dis comme je le pense.
La France n'a jamais été Bernanos, ni André Gide, ni Cézanne. Ni Charles. Ni Louis XI. Il faut le dire une fois. Mais la France a toujours été Merlin l'Enchanteur, Jeanne -d'Arc, le Général Boulanger, Tino Rossi, Georges Carpentier et Philippe Pétain. Il faut bien le dire aussi. Et si la France est aujourd'hui Jacques Prévert comme elle fut Jean Giraudoux en 1940 (voir Christian Marker, aux éditions du Seuil), il n'y a pas de quoi s'en réjouir.
Radical personnaliste communiste pacifiste anarchiste iste iste troufion bourgeois sentimental cochon vive Lourdes et Robert Lamoureux ! voilà les quarante millions de Français. Il y a beaucoup de merde dans le sang français. Dans le sang de tout le monde. 1940-1950 : dix ans de saloperie générale plus nos saloperies particulières.
Jacques Prévert le sait. Jacques Prévert le dit. En ayant l'air de dire le contraire, il le dit bien. Ça flatte et ça démange. Il nous l'envoie dire. Ça chante et ça bourvil. Et pourtant jamais il ne se prend pour la Tour Eiffel, ni pour Aragon qui a découvert Aragon, ni pour Henri Michaux que Gide a lu, ni pour Jean Nohain de chez Lévitan ; non, Prévert fait toujours le Jacques, et je l'en remercie.
Il est l'expression la plus exacte de notre temps, mais il s'en fout pas mal.
La rue l'aime. La rue tourne. Attendons encore un peu, cinq ans ou une mobilisation qui ne sera plus générale, et la rue lui cassera la gueule. La poésie de Jacques Prévert connaîtra peut-être alors ses véritables amis (comme Giraudoux fit le compte des siens), et qui ne sont pas forcément les demi-calotins, les anticolotins, les cabotins, les Bottins, les catins, les locacola, et autres rintintins, ni ceux que vous savez...
Texte dans « Jacques Prévert parmi nous ». Sortilèges, numéro double 3 et 4. Dépôt légal, troisième trimestre 1953. p.43
Textes sur Jean Martin, un peintre de sa connaissance...
Texte sur Joseph Delteil
Extrait d'un article paru dans "CONFLUENCES", en juillet 1942
PHOTO TIREE DE
"ROBERT MOREL" PAR MARIE MOREL
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